Quels défis pour les HSH séropositifs issus de la migration ?
Discriminations et invisibilisation
En Belgique, les hommes vivant avec le VIH d’origine afro-latino-caribéenne ayant des rapports sexuels avec d’autres hommes (HSH) rencontrent de nombreux défis liés à un ensemble de vulnérabilités. L’une d’elles est le manque d’accès aux programmes de promotion de santé sexuelle, car les HSH issus de la migration ne se reconnaissent pas dans les programmes destinées aux HSH (trop européo-centrés) ou aux personnes afro-latino-caribéennes (trop hétérocentrés). Ils semblent en effet se trouver dans un angle mort de ces programmes.
En plus de l’homophobie vécue au sein des communautés d’origine et du racisme dans la population générale, de nombreux HSH vivant avec le VIH issus de l’immigration subissent des stéréotypes et des discriminations au sein de la communauté LGBTQUIAP+ du fait de leur origine ou de leur statut sérologique (Gérard Émilie and co, 2023)*.
Je m’appelle Raoul.
Je ne parle de mon orientation sexuelle et de ma séropositivité qu’avec des amis très proches.
Je sens une discrimination des homosexuels envers les homosexuels séropo. J’ai toujours un sentiment que le gay séropositif est un discriminé parmi les gays qui sont eux-mêmes discriminés dans la société. Je ne parle pas de ma séropositivité dans le milieu des gays surtout si j’espère avoir des liens intimes avec quelqu’un. Si je veux développer et approfondir la relation, je pense alors qu’il est nécessaire de déclarer ma séropositivité pour être sincère et honnête. Même si j’ai peur qu’il se mette en colère car je ne l’ai pas informé de ma situation de santé dès le départ. C’est une situation très délicate. Pour le moment, je n’ai pas encore rencontré la bonne personne. La question ne se pose pas en ce moment mais ce sera un problème quand elle se posera. J’ai quelques amis qui sont au courant de ma situation de santé. Ils me demandent parfois des nouvelles et m’encouragent. Pour changer les mentalités, il faudrait multiplier la diffusion d’informations correctes sur le progrès médical, dire que le traitement permet de rendre les personnes vivant avec le VIH non contaminantes. Les homosexuels et les gens hétérosexuels pourront alors aimer pleinement les séropositifs de la même manière qu’ils aiment les séronégatifs.
Dévoiler son orientation sexuelle et son statut sérologique
Une autre de ces vulnérabilités est la difficulté à annoncer son homosexualité pour les HSH issus de la migration. Ceux-ci doivent mettre en place des subterfuges au sein de leur communauté pour « ne pas éveiller les soupçons ». Il ne suffit en effet pas de cacher son homosexualité ou de ne pas la revendiquer, il faut également prouver son hétérosexualité. Nombreux sont ceux qui choisissent également de ne pas dévoiler leur statut sérologique par peur du rejet. L’existence de cette double vie démontre que le fait de faire son coming out peut ne pas avoir « les mêmes implications pour les gays noirs que pour les gays blancs », mais démontre également le danger de définir l’expérience des publics clefs en ne tenant compte que du point de vue des groupes dominants, ce qui a tendance à « privilégier certaines expériences au détriment d’autres » (Gérard Émilie and co, 2023).
Je m’appelle Yvan.
Depuis mon plus jeune âge, j’ai toujours été attiré par les autres garçons. Je ne sais pas si on peut parler de relations sexuelles mais je me frottais à d’autres garçons, ça se passait comme ça sans que je ne me pose la question. Je savais que j’étais né comme ça.
Je me suis confié à un de mes oncles sur ma séropositivité, avec lui je parle de tout et de rien. Il m’a même convaincu de laisser les médicaments anti VIH alors que mes CD4 étaient bas pour prendre les plantes. J’ai le sentiment que certaines personnes le savent même s’ils ne viennent jamais vers moi. Je soupçonne aussi mon fils d’être au courant même s’il ne m’a rien dit jusque-là car je sais qu’il aime bien fouiller dans mes affaires.
Avec mon oncle on n’a jamais abordé la question de mon orientation sexuelle, mais je sais qu’il n’est pas bête même s’il ne parle jamais de ça. Il me respecte. J’estime que mon orientation sexuelle relève de ma vie privée et que je ne suis pas obligé d’en parler.
Mon fils par exemple est au courant de mon orientation sexuelle, il l’avait compris depuis longtemps. Malheureusement à travers ses réactions j’ai constaté qu’il est homophobe et ça nous a affecté moi et mon conjoint. Mais il n’est pas obligé de m’accepter et je lui ai dit que je reste son père et que je ne changerai pas.
En ce qui concerne les discriminations au sein des communautés, en Afrique ils ne sont ouverts ni à l’homosexualité ni à la séropositivité. En Belgique c’est mieux, parce qu’il y a des lois qui protègent les homosexuels.
Je trouve que la séropositivité est plus difficile à vivre par rapport à l’homosexualité à cause des rejets. En Afrique, en tant qu’homosexuel, tu peux être insulté, agressé, mais quand tu rajoutes le VIH, les gens t’évitent par ignorance des modes de contamination. Avec l’homosexualité les gens peuvent t’approcher. Le cumul des deux provoque plus de haine et de rejet. Mais moi je ne considère pas ça comme une tare. Même si je ne fréquente pas beaucoup la communauté HSH migrant, je sais qu’il y a des ignorants qui peuvent par exemple être intéressés par moi et qui sont HSH mais qui pourraient prendre du recul si jamais ils apprenaient ma séropositivité. Je n’ai jamais été rejeté à cause de la séropositivité, puisque je n’en parle pas. Par rapport à mon orientation sexuelle je n’accorde pas beaucoup d’importance aux réactions des gens. Dans mon secteur de travail par exemple, je me sens protégé. Comme je m’assume le directeur m’a déjà dit de ne pas hésiter à lui parler en cas de problème. Une fois un collègue africain a eu des propos homophobes envers moi. Il rigolait, il disait « est-ce que tu te rappelles comment tu étais avant ? », etc. Au lieu d’aller me plaindre, je lui ai parlé en présence d’un autre collègue en lui disant que je n’ai pas de problème avec mon orientation sexuelle, qu’il m’a poussé à bout et que ça fait mal, que c’est la dernière fois. Je pense qu’il a bien compris qu’il est obligé de m’accepter car je suis protégé par les lois.
Pour que les choses changent il faut d’abord s’accepter soi-même, fréquenter des personnes positives dans la même situation. Il y aura des personnes hypocrites et on ne les changera pas. Il faut privilégier le renforcement par les pairs pour permettre aux gens d’être ensemble dans un environnement sain, accueillant et sans jugement. Si la personne est déjà renforcée, elle pourra affronter facilement les préjugés sans que ça n’affecte trop sa vie et sa santé.
A ceux qui sont différents de moi, je leur demanderais d’être plus conciliant, de s’instruire et de répondre à cette question : quelle formule avez-vous utilisé pour être hétérosexuel et si vous avez cette formule, donnez-la moi pour que je puisse l’utiliser.
En tant qu’humain, ça ne sert à rien de juger l’autre.
Parcours de vie difficile
Les HSH vivant avec le VIH qui ont migré peuvent se retrouver couper d’un réseau social à cause de la migration, plus encore s’ils sont dans un centre pour demandeurs d’asile ou sans papiers. Le réseau social communautaire est pourtant important car il permet la transmission d’informations, de l’aide et du soutien. Cette vulnérabilité ne permet pas de se sentir en sécurité ni de lutter contre les discriminations, il est donc important que ces personnes trouvent des structures où elles se sentent en sécurité et peuvent exprimer leurs besoins (Gérard Émilie and co, 2023).
J’ai appris ma séropositivité lors d’un test qui m’a été exigé dans le cadre d’une demande de visa pour l’étranger et qui par ailleurs m’a été refusé à cause de cela. Cette annonce m’a fait très mal. Bien que je sois une personne qui m’adapte bien, c’était quand même très lourd. Un monsieur du service hospitalier m’a soutenu comme il a pu. J’ai pris quelques jours pour m’accepter avant d’aller chercher les associations de soutien aux personnes homosexuelles. Une fois à l’association, j’ai été bien accueilli, il y avait déjà des groupes de parole, c’était bien structuré et c’était plus comme une famille, je me suis très vite senti accepté. J’y ai trouvé pas mal de gens qui je connaissais et même des amis et c’est là où je me suis rendu compte que quand tu côtois des personnes, chacun sait ce qu’il a mais ne te le dit pas. Après j’ai suivi une formation de pair éducateur, j’ai travaillé dans l’association, j’ai pu remonter le moral de pas mal d’autres personnes dans la même situation (Yvan).
Santé et santé mentale
Ces difficultés peuvent avoir un impact sur la santé mentale et sexuelle des HSH vivant avec le VIH issus de la migration et engendrer un épuisement mental. Un certain nombre d’entre eux vont ainsi éprouver des difficultés à parler ouvertement à des professionnel·les de la santé (Gérard Émilie and co, 2023).
Je m’appelle Damien.
L’histoire de mon orientation sexuelle est très dur pour moi. Quand j’ai commencé à sentir que je n’étais pas comme les autres, je vivais en cachette, je me sentais humilié par tout le monde. Je vivais dans la peur et je me sens toujours en insécurité quand bien même je suis avec des gens qui m’aiment beaucoup. Je me dis que dès que je vais l’annoncer, personne ne va m’accepter : ni ma famille, ni mes amis et tout le monde sera contre moi. J’ai cette idée car si moi-même je ne m’accepte pas, comment tu veux que les autres m’acceptent ? C’est très dur pour moi d’avoir une orientation sexuelle différente de la norme sociétale. Et le pire c’est d’être une personne qui vit avec le VIH, alors là !!!!!???? C’est une catastrophe. Peut-être avoir une orientation sexuelle différente c’est un peu moins dur qu’être séropositif. En tant que séropositif, j’ai à nouveau le sentiment que tout le monde est contre moi, même dans le milieu médical alors qu’ils sont supposés me soutenir sans aucune autre considération. Par rapport au reste de la population, c’est pire, je me sens rejeté et stigmatisé. Par leurs dires, j’ai l’impression qu’ils me considèrent comme quelqu’un qui n’est pas propre, pas sérieux, pas honnête.
Je me sens seul en me disant que personne ne va m’aimer, ni me faire confiance.
*Gérard Émilie and co, « Santé sexuelle et discriminations croisées chez les hommes afro-latino-caribéens ayant des rapports sexuels avec des hommes à Bruxelles », Santé publique, volume Hors-série, 2023.